Faire le choix d’un autre Québec


Merci à Vanessa de m’avoir envoyé ce lien vers un excellent texte de Raphaël Canet, publié dans le Devoir. J’en reproduis quelques extraits ici.

Ce discours [de l’idéologie néolibérale] n’est pas nouveau. Depuis le colloque Lippman (1938) et la première réunion de la Société du Mont-Pèlerin en Suisse (1947), les partisans du libéralisme à outrance se sont organisés pour fustiger l’État interventionniste, qui s’affirmait pourtant comme un outil de développement collectif mettant en place toute une série de politiques (aide sociale, assurance-chômage, législation du travail) visant à garantir une plus grande justice sociale et à lutter contre les inégalités, sources de conflits, le tout en prenant soin de stimuler la croissance économique.

À leurs yeux, la privatisation, la libéralisation et la déréglementation devaient devenir les mots d’ordre de tout bon gouvernement et les think tanks néolibéraux allaient se charger de porter la bonne parole. On les retrouve à l’origine de la création du Forum économique mondial de Davos (1971), en Suisse, sorte de grand frère du FEIA. Ils sont aussi, par la voix des Chicago Boys (anciens étudiants de Milton Friedman à l’Université de Chicago), les conseillers économiques du général Pinochet dans le Chili post-1973.

Patiemment, ils diffuseront l’idéologie néolibérale, poursuivant minutieusement le travail de dénigrement du providentialisme et de l’interventionnisme étatique pour finalement en venir à marquer des points au tournant des années 1980. Après sa période d’incubation dans le laboratoire chilien, les élections de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne (1979) et de Ronald Reagan aux États-Unis (1980) vont symboliser le triomphe du néolibéralisme dans le monde occidental. «There is no alternative», comme se plaisait à le marteler la Dame de fer.

Le Québec ne fut pas à l’abri de ce virage néolibéral. Dès 1979, le ministre d’État au développement économique du Québec, le péquiste Bernard Landry, reconnaissait le rôle du secteur privé, la pression de la concurrence internationale et la crise budgétaire. René Lévesque, à partir de son second mandat en 1981, avançait aussi l’argument de l’assainissement nécessaire des dépenses publiques, affirmait que le développement économique est avant tout l’affaire des entreprises, que les programmes sociaux devaient favoriser la formation de la main-d’oeuvre et la réinsertion sur le marché du travail.
[…]

«There is no alternative», nous y revenons. Que ce soit à cause de la crise des années 1970 ou encore de la mondialisation des années 1990, ce discours est toujours le même: nous n’avons pas d’autre choix que d’avaler la pilule néolibérale. C’est cela l’approche stratégique de la pensée unique: un modèle qui s’impose comme une évidence, un peu comme un phénomène naturel. Mais ce pouvoir idéologique n’est pas apparu soudainement au tournant des années 1980, il s’est construit patiemment et méthodiquement depuis les années 1930, saisissant toutes les occasions de l’histoire pour avancer un peu plus chaque fois.

Il n’y a rien de naturel dans le néolibéralisme, rien de naturel dans la conception et les orientations de la mondialisation que ce courant politique véhicule. Le tout est pensé et mis en place par des êtres humains, résulte d’une volonté politique dans plusieurs pays et gouvernements, en somme d’un choix fait par quelques-uns et imposé à d’autres.

En clair, le message fondamental de ce texte est le suivant: nous avons le choix. Nous choisissons notre futur et il sera ce que nous faisons du présent. Nous ne sommes pas que des observateurs niais, assis devant la télévision à consommer de l’information-poubelle. Nous avons notre mot à dire et nous avons le droit - le devoir - d’inventer un nouveau Québec à la mesure de nos aspirations.

Le plus grand danger, il ne vient pas seulement de ces gens qui clament haut et fort la fin des idéologies et qui cachent leur appartenance à la mouvance néolibérale derrière un discours défaitiste à la « on n’a pas le choix » ou « c’est le gros bon sens ». Pas seulement ces propagandistes bidons à la Pierre Fortin ou à la Nathalie Elgraby. Non.

Le vrai danger vient de nous, de notre défaitiste, de notre fuite devant l’Histoire, de notre incapacité à inventer des solutions originales à nos problèmes contemporains. Des gens nous emprisonnent volontairement dans un carcan de vieilles idées et de vieux mythes nous empêchant de réinventer notre société. Et nous, nous sommes complices, car nous ne croyons plus en rien.

Au contraire, ne faut-il pas plutôt croire? Se réapproprier l’utopie, réapprendre à espérer que le futur ne sera pas la continuité de ces 25 dernières années de réformes néolibérales. Recommencer à croire que l’État peut jouer un rôle majeur dans la redistribution de la richesse et que les plus riches ont le devoir moral de se départir d’une partie de leur richesse pour aider les plus pauvres, acteurs et victimes d’une organisation sociale qu’ils n’ont pas choisie.

Si le néolibéralisme a été (ré)inventé dans les années 30 et qu’il a pris 40 ans pour s’imposer au monde, pourquoi ne pourrions-nous pas être les germes de changements futurs, pour nos enfants, pour nos vieux jours?

Nous avons le choix; nous devons faire le choix de croire qu’un autre Québec est possible.
Paru sur le blogue Un Homme en colère